QUAND LA LIVREE SE FAIT ART

On en parle peu, en tout cas pas assez à notre goût, mais les livrées portées par les machines volantes que nous aimons tant à admirer sont le fruit de centaines (voir plus) d’heures de travail. De l’idéation à la mise en peinture, ce travail, mené de façon experte par une poignée d’artistes, maîtres dans leur domaine, est pourtant passionnant et mérite d’être largement mis en lumière !

Nous avons eu le plaisir d’échanger avec un de ceux que nous considérons aujourd’hui comme un Maestro de la livrée, Régis « Rage » Rocca :

Bonjour Régis, peux-tu te présenter et nous raconter comment est née ta passion pour
l’aéronautique ?


Bonjour Air Passion, je m’appelle Régis Rocca, mon surnom dans le milieu est “Rage” – prononcé à l’anglaise, diminutif de Rég’-. Je suis graphiste de formation et j’exerce les fonctions de Directeur artistique et Responsable de communication et de création visuelle (précédemment en agence et à présent dans un grand théâtre).

Ma passion pour l’aéronautique est un… rêve de gosse 😀 en effet, rien ni personne dans mon entourage n’est lié à l’aviation mais depuis tout petit je me suis pris d’un intérêt immense pour tout ce qui touche à la 3e dimension. Petit, les exploits de Patrick Baudry et Jean-Loup Chrétien me fascinaient -et c’est toujours le cas-. Je suis dans une région (Côte d’Azur) où l’aviation est surtout civile et la notion militaire est inexistante. Je pense que l’événement déclencheur a été de voir une répétition de la Patrouille de France pendant la récré depuis la cour de mon école primaire (mi années 80). Un instant inattendu gravé dans ma mémoire.

Mes autres rendez-vous forts durant ma jeunesse ont été les Salons des avions de légende de Cannes-Mandelieu (1996, 1998). C’est donc assez maigre mais ça c’est ancré en moi.

Depuis l’adolescence, j’ai lu tous les livres, romans, BD, traitant du sujet qui me tombent sous la main. Je ne saurai expliquer cet intérêt mais j’ai toujours aimé tout ce qui vole ! J’ai même été prendre des renseignements pour mes 18 ans pour un engagement au sein de l’Armée de l’Air mais je n’étais pas prêt. Et la suite me fait dire que c’était le bon choix, mes envies créatives m’appelaient ailleurs.

Et ta passion pour la planche à dessin ? De quand date-t-elle ?

Probablement depuis toujours… Lorsque mon frère faisait un poème pour la fête des mères, moi je faisais un dessin. J’ai toujours eu un rapport fort avec le dessin, soit par la BD et par la création picturale en général.

J’ai retrouvé, il y a quelques années, des cahiers de dessins de mon enfance et je reproduisais déjà les marquages de certains « nose-art » comme le faucon noir sur le nez des FW190 du 9/JG.2. J’y vois aussi déjà un intérêt flagrant pour le graphisme à présent.

J’ai, par contre, compris assez tardivement que le dessin (même si ce que je fais ne fais pas de moi un illustrateur ou un dessinateur au sens strict du terme) était ma voie. C’est lorsque j’ai gagné un concours de BD universitaire sans aucune formation ni préparation, vers la fin de mes études en fac de Chimie, que je me suis dit qu’il y avait peut-être un signe à prendre en compte. J’ai donc fini mes études de Chimie et j’ai tout recommencé à zéro en Ecole d’Art pour m’orienter vers le graphisme et la typographie.

Alors forcément la question que beaucoup de monde doit se poser : comment et
pourquoi as-tu commencé à peindre des avions ?

De la planche à dessin, je suis passé par la maquette durant l’adolescence (grâce à un oncle maquettiste de figurines historiques). Par contre, je ne faisais que du warbird, je n’ai jamais maquetté d’avions de chasse moderne. Ce sont donc mes premières expériences de « peinture sur avion » !

La réponse au pourquoi est que, comme tout graphiste, la création est liée au support qui la présente. On est fier de voir sa création sur une carte de visite, on l’est encore plus lorsque la même création, sur la façade d’un immeuble, est visible de partout à la ronde. Lorsque l’on participe à la conception graphique d’un projet, le choix du support, son format… sont des éléments fondamentaux.

J’ai eu la grande chance de commencer ma carrière professionnelle et de travailler 15 ans dans le domaine du luxe. J’ai compris très vite l’importance de la rigueur, de l’excellence, de l’exclusivité… et ce sont des valeurs partagées par l’Armée de l’Air. Pour moi, un support hautement qualitatif (que ce soit un diamant ou un avion de chasse) doit être pourvu ou recevoir un design à son image.

La réponse au comment est plus triviale et précise. Tout a commencé le dimanche 11 janvier 2009 à 15h35 sur France 5. J’ai vu le reportage « Tigres en plein ciel » dont le sujet était le Nato Tiger Meet et l’Escadron de Chasse 1/12 Cambrésis.

J’y ai découvert les peintures sur avions de chasse et surtout le fait que ce soit quelque chose qui est remis en place tous les ans ! A cet instant, j’ai su que je devais en faire un. Et c’est devenu une obsession et un défi à moi-même. J’avais sous les yeux le moyen de revenir à ma passion par le biais de mon métier (qui est aussi une autre de mes passions).

En quelques semaines alors j’ai rédigé un courrier et un semblant de projet que j’ai envoyé sans rien connaître de ce monde. Par chance, ma missive est arrivée. Le temps que les choses se fassent -et en renouvelant mon intérêt- en 2010, un meeting de l’Air était organisé sur la BA103 et l’EC 1/12 m’a invité et m’a donné le brief de création pour me mettre en compétition avec d’autres projets extérieurs. J’ai gagné et mon projet a donc été réalisé. Mon objectif était accompli, ma création a volé sur Mirage 2000 lors du NTM 2010 de Volkel aux Pays-Bas. Cerise sur le gâteau, j’ai eu -et je partage cela avec Seb “Harry” Bault, le peintre de l’époque et mon binôme depuis ce temps- la 2e place sur le podium de la plus belle livrée. Mon défi était de réaliser une livrée sur un avion. Il est resté inchangé, tout ce que j’ai fait depuis (soit plus de 30 livrées sur une quinzaine de type d’appareils) ce ne sont que des bonus.

Peux-tu nous raconter comment se passe un projet ? De sa naissance aux travaux de peinture dans la hangarette ?

De façon générale, le projet vient à moi. Je n’ai jamais démarché dans ce sens, car comme évoqué, mon objectif a été atteint en 2010 et en plus, je fais cela bénévolement et sur mon temps libre. L’unité me contacte et m’explique ses attentes. Si cela trouve un écho en moi -ce qui est toujours le cas-, que c’est faisable temporellement, alors le projet démarre.

Je creuse les Traditions et le sujet à travers les récits, les livres, les sites pour m’imprégner de la richesse graphique et humaine. Puis en fonction de l’appareil (déjà fait ou inconnu), j’essaye de comprendre ses lignes de force, ses particularités et surtout ses contraintes. Ce sont avant tout des outils de travail et doivent le rester. On ne peut pas faire tout ce que l’on veut sur un avion de chasse !

Commence alors la phase de création pure avec beaucoup de croquis, de tentatives. Tout cela se passe sur la planche à dessin et sur papier calque. Juste au crayon, sans couleurs. Puis une fois que j’ai un plan satisfaisant, je passe à la vectorisation sur les plans 3 (ou 5) vues de l’appareil que j’ai également entièrement repris de façon vectoriel.

C’est donc de la 2D (sur laquelle j’essaye de prendre en compte les volumes de la 3D par extrapolation) et que je mets les couleurs. Le dossier réalisé, je le soumets à l’unité avec qui ensuite je fais les éventuels ajustements.
Une fois que l’unité est satisfaite, le projet quitte mes mains pour prendre son envol. L’unité va alors se l’approprier et lui faire suivre l’ensemble de la voie hiérarchique pour obtenir toutes les validations (humaines, techniques, protocolaires…).

Le cheminement se poursuit ensuite par la concrétisation et le (ou les) peintre(s) est inclus dans la boucle pour la faisabilité, le choix mutuel précis des teintes et de possibilités. Je tiens d’ailleurs à préciser que sans “Harry”, “Ced” et tous les autres peintres/mécanos avec qui j’ai eu l’honneur de travailler et qui ont donné vie à mes créations, tout cela n’existerait pas.

Des projets, j’en ai plein mes cartons et sans eux ils sont restés sur le papier. Ma reconnaissance envers les peintres, les mécanos et les équipes dédiées à ces projets est immense ! Il faut toute la bienveillance de la hiérarchie, des personnels sur base, la confiance des unités et des mécanos pour réaliser un projet de la sorte.

Le slogan de l’Armée de l’Air en 2012 était : « Pour faire voler un avion, il faut toute une armée ». Et c’est pareil pour un avion peint !

Enfin, entre 6 mois à 1 an après le premier coup de crayon, les dernières semaines sont donc consacrées à la mise en peinture. Je deviens alors un membre de l’équipe de peinture en apportant mon regard extérieur et mon arbitrage au pied de la machine tout en les laissant donner naissance à ma création. C’est un moment intense et magique à la fois.

Est-ce qu’il y a un projet en particulier dont tu es le plus fier ?

Peut-on préférer un de ces enfants par rapport à un autre ? Je ne crois pas. Il y a des projets qui furent des aventures incroyables car ce qu’elles ont généré a été bien au-delà de mes espérances. J’ai toujours pris le même plaisir à concevoir quelque soit l’avion ou l’unité. Je suis fier de tous, mais si je devais en isoler certains, je dirais le M2000 n°103 de Cambrai en 2012 pour toute l’histoire et la symbolique autour de ça. Puis le M2000 n°353 du Centenaire du La
Fayette. Mais comment ne pas évoquer aussi la belle famille du Transport et celle des hélicos ? Le Rafale Solo Display de 2017 trouve lui aussi un écho très fort en moi… Et les suivants aussi ! Puis la Patrouille de France, le Vieux Charles, les PC-21… Bref, je suis vraiment fier de tous ! Et merci à toutes les personnes qui ont de quelque façon que ce soit, ont fait que ces rêves se réalisent.

Il n’y a pas que les livrées, il y a aussi des projets plus « petits » mais qui me touchent comme, par exemple, refaire l’identité visuelle des Firecat Tracker (en 2020) pour le retrait des appareils et la disparition de cette entité là des pilotes de la Sécurité Civile, les Pompiers du Ciel. Car si comme moi, on habite dans le Sud, ce sont des appareils que l’on voit -à regret, car on sait que ce cela signifie- voler tous les étés, leurs missions sont périlleuses et leurs sacrifices bien réels !

Mon respect et mon admiration leur est acquise.

Et est-ce que à contrario un projet t’a déjà laissé des regrets ?

Des regrets ? Non ! Il y a eu des projets moins simples car la mise en peinture a été plus complexe que prévue, que les conditions climatiques ralentissent le projet, que parfois en mélangeant 2 teintes le résultat obtenu est vraiment pas le bon et qu’il faut trouver une solution rapide avec ce que nous avons en main, qu’il faille faire des retouches sur le projet car une zone n’offre pas une adhérence satisfaisante… des aléas techniques et naturels que l’on retrouve dans bien d’autres domaines.

Y-a-t-il des projets à venir que tu peux nous partager en avant première, ou tout du moins
en mode teaser ?

Au moment où je réponds à cette question, une unité -le 2/5 Île-de-France- vient de dévoiler notre étroite relation pour la livrée anniversaire des 80 ans… donc cela vous donne déjà une info de taille mais sinon je ne peux évidemment pas vous partager les futurs projets car j’ai un devoir de réserve à respecter et cela fait parti du contrat de confiance mis en place depuis le début. Je peux par contre, vous dire que j’ai fait entrer ma méthode de travail dans une nouvelle ère car je collabore avec une équipe de conception 3D qui permet de poser mes designs sur des modèles réels/virtuels et que cela donne un plus indéniable pour appréhender le projet avant même sa réalisation. Un travail qui me bluffe sincèrement et que je partagerai avec plaisir le moment venu.

Evidemment avec la crise sanitaire actuelle, difficile de savoir de quoi demain sera fait mais si tout se passe bien, il devrait y en avoir pour tous les goûts ! En tout cas, j’ai fait tout pour !

Je me lance aussi de nouveaux défis aéronautiques et artistiques -autres que les livrées- dont j’attends la faisabilité, je ne manquerai pas d’en parler sur mes pages le moment venu. Stay tuned comme on dit 😉

Que peut-on te souhaiter pour la suite ?

Comme tout le monde, que l’on puisse retrouver le plaisir simple de se revoir, de revenir sur les tarmacs voir des avions voler et continuer à rêver ! Et que les projets que j’ai imaginé puissent se réaliser. Pour ma part, j’ai déjà eu en retour tellement de belles aventures humaines et des souvenirs uniques grâce à tout cela que je préfère souhaiter à l’ensemble des passionnés de vivre et concrétiser leurs aspirations. Et si mon travail leur donne l’envie de le faire alors voilà ma plus belle récompense.

Nous tenons à adresser à nouveau un immense merci à Régis pour son soutien, sa gentillesse et sa disponibilité !

Crédit Photos : Régis Rocca / Airpassion

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